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A+A s’entretient avec Robin Crisinel, Administrateur chez Duboux Immobilier
À la tête de ce bel établissement depuis plus de vingt ans, Robin Crisinel incarne une approche rigoureuse et humaine de la gestion immobilière. Ancien dessinateur en génie civil, sportif de haut niveau, il a fait de l’indépendance, de la proximité client et de la clarté d’action les marques de fabrique d’une régie passée de six à plus de quarante collaborateurs depuis son arrivée. Dans cet entretien sans langue de bois, il revient sur les tensions du marché romand, la digitalisation du métier, la question de l’hygiène dans les bâtiments… et les absurdités d’un urbanisme empêché.
A+A. Comment est née la Régie Duboux, sur quelle proposition au marché et sur quelle promesse à ses clients ?
La régie a été fondée en 1952. J’ai intégré l’entreprise en 2001, repris la direction en 2003 et me suis associé en 2005. Ce que nous avons toujours cultivé, c’est une forme de gestion personnalisée et de proximité, aux antipodes de la logique des grands groupes. Nous ne voulons pas être une plateforme anonyme. L’immobilier reste de la gestion de fortune, et nos clients apprécient notre stabilité et notre modèle d’hyperpersonnalisation.
Comment percevez-vous l’évolution récente du marché immobilier dans les cantons de Genève et de Vaud, dans la location, mais aussi la vente ?
Kafkaïenne ! L’arc lémanique est sur un « nuage doré ». On assiste à un développement fou, avec une pression démographique qui ne ralentit pas : le canton de Genève gagne environ 6000 habitants par an et le canton de Vaud 8000, mais « l’intendance » immobilière ne suit pas. Les prix sont très élevés, la pénurie perdure. Et en parallèle, on empile les contraintes réglementaires, au lieu de construire sereinement. Le résultat ? Des projets bloqués, des tensions urbaines croissantes. Il y a une incohérence entre la dynamique économique du pays et la gestion politique de son urbanisation. On assiste même à des refus de projets justifiés non par les règles en vigueur, mais par des règlements futurs.
Quelles sont, selon vous, les principales attentes et préférences des propriétaires et des locataires en 2025 ?
Tout un chacun aspire au bonheur simple de la nature, du calme, de la lumière, mais le problème reste la disponibilité des biens — locataires comme acquéreurs doivent s’adapter à ce qu’ils trouvent, faute de choix. Globalement, on relève un besoin d’espace et de quiétude sonore. Qui s’en défendrait ?
Comment la digitalisation transforme-t-elle votre métier au quotidien ?
Notre industrie, très conservatrice, a longtemps été en retard. Mais aujourd’hui, le virage numérique est enclenché. Le problème, c’est l’explosion des micro-solutions non connectées. J’aime tester ces nouvelles applications spécialisées, mais elles restent trop souvent incompatibles entre elles. Le BIM est un autre exemple. Conçu pour l’utilisateur final — à savoir nous — il nous est pourtant rarement transmis. Il y a encore un gouffre entre l’intention et la réalité, que je m’efforce de combler dans le dialogue avec les maîtres d’ouvrage et d’œuvre. Quant à l’intelligence artificielle, elle me laisse dubitatif. On nous disait qu’elle nous libérerait des tâches répétitives ; en réalité, elle commence à empiéter sur des tâches de raisonnement profond. Mais il est évident qu’elle bouleverse le monde, notamment organisationnel. La question éthique demeure : qui la contrôlera, et sur quoi ?

Quelles sont les tendances des prochaines années, notamment en lien avec la durabilité des bâtiments ?
C’est un sujet immense, très politique. La durabilité s’impose désormais à travers les obligations légales, les normes ESG, et même les marchés. Mais dans les faits, la mise en œuvre est lente, coûteuse, et inégalitaire. Dans une copropriété de personnes âgées, il est quasiment impossible d’obtenir un crédit pour financer une rénovation énergétique. Et côté bailleur, on ne peut pas toujours répercuter les coûts, à cause du droit du bail. La pression augmentera d’ici 2030–2050, mais une réponse coordonnée — politique, financière et technique — reste à inventer.
En tant que régie expérimentée, comment abordez-vous les problématiques d’hygiène et d’infestation dans le parc immobilier que vous gérez ?
Ce sont des sujets sensibles, mais pas omniprésents. Quand un cas se présente, cela peut devenir complexe, notamment pour déterminer l’origine du problème et éviter la propagation. Il y a eu des phases plus aiguës, notamment avec les punaises de lit, mais on ne constate pas une explosion incontrôlée. Tout dépend de la réaction initiale du locataire, voire du gestionnaire : la situation peut vite dégénérer.
Quels types d’attentes expriment les locataires ou les propriétaires face à ces problématiques ?
Ils attendent de la réactivité, de la transparence, de l’empathie. Avec parfois des frustrations directement liées à la prise en charge : qui est responsable, qui paie, comment intervenir ? Nous avons organisé des séances d’information internes pour sensibiliser nos équipes, avec des spécialistes. Et lors de réunions entre régies ou au sein de notre structure, nous partageons nos expériences et nos processus. Ce sont des échanges précieux, car ce sont les bonnes pratiques qui font la différence.
Diriez-vous que les régies ont aujourd’hui une conscience plus aiguë des enjeux sanitaires liés à l’hygiène des bâtiments ?
Oui, incontestablement. Nous échangeons régulièrement entre régisseurs, au sein d’associations ou de groupes informels. Le sujet est bien identifié, même s’il ne revient pas à chaque réunion. Quand une crise surgit, on en parle, on tire des leçons, on adapte nos pratiques.
Pour conclure cette interview, si vous aviez une baguette magique, pour quoi l’agiteriez-vous dans votre secteur d’activité ?
J’aimerais qu’on cesse de faire des lois à contretemps. Il faut une entente constructive entre politiques, promoteurs, gestionnaires et investisseurs. Et surtout, qu’on ne refuse plus des projets au prétexte de règlements qui ne sont pas encore en vigueur. Il nous faut une vision systémique, structurée, à long terme, sachant que la pénurie de logements ne fera que s’aggraver dans les dix prochaines années.