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A+A Désinfection s’entretient avec Alain Reymond, président de la Société Vaudoise d’Entomologie
Passionnant ! Outre la maîtrise de son sujet, l’éminent biologiste est aussi un excellent pédagogue. Alain Reymond répond à nos questions sur la situation entomologique de notre territoire, dans cette interview destinée aux amoureux de la nature et du règne animal. A+A Désinfection milite pour la préservation de la biodiversité et, bien que dédiée à la lutte contre l’envahissement de l’habitat par les espèces nuisibles, n’en respecte pas moins l’existence.
Pouvez-vous nous fournir un aperçu de la situation actuelle des insectes en Suisse, notamment des papillons dont vous êtes un spécialiste ?
Alain Reymond. Donner un aperçu des populations d’insectes est un exercice particulièrement compliqué, puisque les données scientifiques comparables à disposition sont parfois lacunaires ou trop récentes pour pouvoir illustrer des augmentations ou des diminutions de populations.
Seuls quelques groupes d’insectes sont suffisamment connus en Suisse pour pouvoir donner un aperçu de l’état des populations. Il faut garder en tête que les conclusions qui prévalent pour un groupe donné (les papillons par exemple) seront vraisemblablement au moins similaires pour les abeilles sauvages. Si l’on considère les groupes suffisamment connus : sur 1153 espèces, 43 % sont menacées, 16 % potentiellement menacées, alors que 107 espèces sont menacées d’extinction et 38 sont considérées comme éteintes.
Pour les papillons de jour, 35 % des espèces sont menacées d’extinction et 19 % potentiellement menacées.
Même des espèces que l’on considérait comme fréquentes se raréfient, illustrant ce déclin. On constate également certaines augmentations d’espèces, mais principalement celles qui sont moins exigeantes en matière d’habitat, alors que les espèces les plus spécialisées (vivant dans les prairies sèches ou les marais) diminuent.
Quels sont les principaux facteurs contribuant à la diminution des populations d’insectes en Suisse, et quelles en sont les conséquences potentielles sur l’écosystème ?
Les causes sont multiples. Toutefois, l’évolution de l’agriculture depuis 1950 et les remaniements parcellaires, la mécanisation, la mise sous terre de cours d’eau, les fertilisants, l’intensification des pratiques ont profondément impacté les populations d’insectes dès le siècle précédent.
Parallèlement, l’intense développement des activités humaines et de la population (construction, mitage du territoire, drainage) a rendu imperméables de nombreuses surfaces et a entraîné une perte importante d’habitat.
Dans tous les cas, les causes sont multiples et se recoupent. Citons par exemple la pollution lumineuse ou les espèces exotiques envahissantes, problématiques plus récentes, mais au fort impact sur les espèces.
La perte d’espèces dans les écosystèmes est problématique à plusieurs égards. Le premier point est celui des services écosystémiques rendus naturellement par les espèces, comme la pollinisation.
En parallèle, de nombreuses espèces servent de nourriture pour d’autres organismes et empêchent le développement de certaines espèces indésirables, comme les ravageurs. De plus, de nombreuses espèces vivent au sol et permettent la décomposition de la matière organique. Une diminution de cette communauté (quantité et nombre d’espèces) altérera la qualité des sols.
Un plus grand nombre d’espèces signifie également une meilleure résilience face aux changements de notre environnement, dont le changement climatique. Ainsi, les fonctions écosystémiques sont maintenues.
Il n’est évidemment pas possible de mesurer l’impact de chaque espèce sur nos écosystèmes. Il serait même faux de vouloir donner un rôle précis à chacune. Cette recherche d’« utilité » pour un organisme est une vision anthropocentrée ; une espèce n’a pas à être utile pour mériter d’être protégée.
En quoi la conservation des insectes est-elle liée à la santé humaine, à la sécurité alimentaire et à l’équilibre de l’écosystème en Suisse ?
Les insectes fournissent de nombreux services écosystémiques.
Pour la santé humaine, une grande diversité et une grande quantité d’insectes prédateurs permettent, par exemple, de lutter contre d’autres espèces vectrices de maladies.
Pour la sécurité alimentaire, c’est une garantie d’une pollinisation efficace et à moindre coût. La diversité assure que la pollinisation se fasse même si une autre espèce disparaît et à différentes saisons (toutes les espèces ne pollinisent pas au même moment).
Comment les changements climatiques affectent-ils les insectes en Suisse, et des mesures peuvent-elles être prises pour atténuer ces effets ?
Les communautés d’insectes sont influencées de différentes manières par les changements climatiques :
– réchauffement : diminution des espèces liées au froid (espèces montagnardes) remplacées par les espèces de plaine qui ne supportent pas de fortes chaleurs. À terme, les espèces présentes en altitude vont disparaître, car elles ne pourront plus fuir les températures élevées.
– événements météorologiques extrêmes et récurrents : les événements météorologiques extrêmes et récurrents vont accroître la pression sur les populations d’insectes. Ainsi, plusieurs mauvais étés peuvent diminuer le taux de reproduction de certaines espèces (diminution du nombre d’œufs qui vont éclore, diminution du temps de reproduction, etc.) et ainsi diminuer la quantité d’individus. À terme, ces événements fragilisent les populations (moins d’individus, consanguinité, etc.) et augmentent le risque d’extinction locale (disparition d’une espèce d’une localité, d’une région, d’un canton, ou même de Suisse). « La conservation des milieux naturels et leur restauration permettent d’atténuer les effets liés aux changements climatiques. Toutefois, nous ne pourrons éviter les effets sur certaines espèces. Face aux changements environnementaux, la biodiversité est un outil de résilience qui permet d’assurer les fonctions essentielles des écosystèmes, telle la pollinisation.
Quel est le rôle des pesticides et des pratiques agricoles dans le déclin des insectes en Suisse, et quelles sont les mesures prises par la filière agricole ?
Le rôle de l’agriculture dans le déclin des insectes (et pas uniquement en Suisse) est largement documenté et a joué un rôle important dans le déclin des insectes en Suisse. Le cas des pesticides est intéressant, puisque ces produits ne sont pas nécessairement spécifiques pour les espèces ravageuses, mais peuvent être à large spectre et éliminer d’autres espèces. De plus, ces substances peuvent se répandre dans l’environnement et polluer d’autres surfaces et organismes. En Suisse, la filière agricole a progressivement fait évoluer ses pratiques suite à l’adoption de différentes ordonnances fédérales et de projets d’accompagnement. Citons par exemple la mise en place de « fauches du 15 juin » pour lesquelles les exploitants s’engagent à ne pas faucher certaines de leurs prairies avant le 15 juin, afin que certains insectes puissent finir leur cycle de reproduction. En parallèle, d’autres programmes sont venus s’ajouter prévoyant par exemple que 10 % des prairies du 15 juin ne soient pas fauchées, afin de garantir la reproduction d’un plus grand nombre d’espèces. Ces mesures, pratiquement uniformisées à l’échelle du pays, ne sont pas parfaites, mais permettent d’assurer le premier niveau de conservation. Du côté des produits phytosanitaires et engrais, diverses restrictions (diminution ou interdiction) ont été mises en place afin de diminuer leurs impacts sur l’environnement. Ce n’est toutefois pas ma spécialité. Ce n’est qu’une partie des mesures, il en existe d’autres ; préservation des sols, zones tampons à proximité de certains milieux, etc. Ainsi, la recherche agricole et la pratique doivent se poursuivre et continuer à évoluer afin de garantir une protection efficace des ressources naturelles tout en continuant à jouer son rôle productif de nourriture.
Comment la fragmentation des habitats impacte-t-elle la survie et la mobilité des insectes en Suisse, et quelles solutions sont envisagées pour restaurer et connecter ces habitats ?
La fragmentation des habitats impacte la survie des insectes (et autres groupes d’espèces), puisqu’elle isole les populations d’une même espèce entre elles. Dès lors, les populations sont plus sensibles aux événements particuliers (une mauvaise saison de reproduction par exemple), diminuant le nombre d’individus. De plus, cela augmente également la consanguinité au sein même d’une population puisque les échanges ne peuvent plus se faire. On augmente ainsi le risque d’extinction localisée des populations les plus fragiles. En Suisse, divers inventaires et rapports ont été établis afin d’identifier les grands axes de déplacement de la faune à travers le territoire. De plus, issue de la Stratégie biodiversité de 2012, une planification de l’infrastructure écologique est en cours sur le territoire. Cet outil vise à garantir suffisamment de surfaces nécessaires à la biodiversité et à relier ces surfaces entre elles. Des mesures pour restaurer les milieux naturels et les connecter entre eux se développent à différents niveaux (communal, cantonal). Un bon exemple est la remise à ciel ouvert de cours d’eau qui permet à la fois de restaurer l’habitat aquatique et de rétablir le tronçon comme un axe de déplacement pour les insectes (par exemple les odonates).
Quels sont les efforts déployés par le gouvernement suisse et les organisations environnementales pour inverser le déclin des insectes, et quelles sont les stratégies à long terme pour restaurer leurs populations ?
Les efforts déployés par la Confédération se situent à différents niveaux et dépendent de plusieurs offices fédéraux et cantonaux. La stratégie biodiversité suisse et les plans d’action biodiversité cantonaux (lorsqu’ils existent) illustrent notamment les actions à mener dans différents domaines. Un exemple est la restauration des marais anciennement exploités pour la tourbe. Comme pour la plupart des zones humides, des espèces très spécialisées y vivent et sont menacées d’extinction. Différentes mesures ont été mises en place (et sont encore mises en place aujourd’hui) afin de restaurer ces zones humides d’une très haute valeur biologique. De plus, ces zones ont capté une forte quantité de CO2. Tout le monde a intérêt à les préserver.
Comment les citoyens suisses peuvent-ils contribuer à la protection des insectes et à la préservation de leur diversité dans leur quotidien ?
Les citoyens suisses peuvent contribuer à différentes échelles : les propriétaires peuvent, par exemple, opter pour un jardin extensif en diminuant le nombre de tontes et en ne fauchant pas tout en une fois. Il est également fortement conseillé de remplacer les haies non indigènes par des essences indigènes et favorables aux insectes (troène, sureaux, fusain, etc.). De nombreuses initiatives ont émergé à l’échelon communal ou cantonal. Toutefois, tout le monde n’est pas propriétaire, et encore moins propriétaire de jardin. Pour ces personnes, il est possible de s’engager dans des associations de protection de la nature, de faire des dons ou encore de voter pour des politiques sensibles aux questions de protection de la nature. Veiller à acheter des produits les plus respectueux de l’environnement et dont les labels sont reconnus comme sûrs. Réduire les éclairages inutiles pendant la nuit, surtout au printemps et en été.
Les équipes d’A+A Désinfection ont remarqué une augmentation des interventions contre les frelons asiatiques en Suisse romande. Que cela vous inspire-t-il ? Selon vous, à quoi cela est-il dû ?
En Suisse romande, le frelon asiatique est en expansion et colonise petit à petit de nouveaux territoires. De plus, les hivers cléments (cf. réchauffement climatique) ainsi que des étés chauds favorisent la survie des reines fécondées en hiver et son expansion. Cela ne me surprend pas du tout. Nous devons préparer son arrivée et limiter au maximum son expansion afin que l’espèce reste (plus ou moins) sous contrôle. Le canton de Vaud a édité un rapport de recommandation sur ce sujet : Frelon asiatique – recommandations
Comment considérez-vous la menace des moustiques tigres ? Selon vous, de quoi cela provient-il ?
Le moustique tigre est un problème sérieux. Une forte prévention pour éviter son installation est nécessaire. Le site de l’État de Vaud résume différentes informations : Moustique tigre, une espèce invasive